Les anemones du Japon ou anemones à floraison automnale

        Le nom vernaculaire ‘Anémone du Japon’ désigne un groupe complexe de plantes ayant des liens de parenté assez proches dont aucune n’est originaire du Japon. Les trois espèces principales ( Anemone hupehensis, Anemone tomentosa, Anemone vitifolia ) sont originaires des versants montagneux du continent est-asiatique, du nord de l’Inde jusqu’en Chine.
        Pour une meilleure compréhension des ‘filiations’, mieux vaut ne pas respecter l’ordre chronologique d’introduction de ces plantes en Europe.
        A.vitifolia, découverte au Népal en 1829 par une anglaise, Lady Amherst, est une espèce stolonifère dont l’habitat naturel se situe entre 2000 et 3000 m d’altitude. Ses tiges, qui atteignent 80 cm, à feuilles basales non divisées, à 3-7 lobes dentés au revers soyeux, dont la forme évoque la feuille de vigne, portent des fleurs peu nombreuses, généralement blanches. Elle est relativement rare en culture et son nom est souvent attribué à tort en horticulture à A.tomentosa, beaucoup plus courante.
        A.tomentosa (A.vitifolia hort.), porte une couverture tomenteuse bien apparente sur les tiges et la face inférieure des feuilles bien reconnaissable surtout sur une plante jeune. Les feuilles sont plus profondément lobées et dentées que celles de l’espèce précédente, divisées en trois folioles, et les fleurs rose pâle, plus nombreuses. C’est une espèce précoce, très vigoureuse (100-150 cm), en particulier la variété ‘Robustissima’, obtention d’Emile.Lemoine (A.tomentosa X A.x hybrida; 1936), dont il dit  qu’elle a été la seule anémone du japon à résister au terrible hiver 1938-39. A l’âge adulte, cette variété est cependant parfois peu facile à distinguer de l’espèce suivante et, à mon sens, elle est bien plus couramment cultivée qu’on ne le pense généralement, confondue bien souvent avec A.hupehensis.
        A.hupehensis, introduite en Europe par Cipriano Silvestri, missionnaire italien, fut offerte pour la première fois au commerce par Victor.Lemoine à l’automne 1908 sous le nom d’A.japonica var.hupehensis, rectifié en 1910 par le nom correct, A.hupehensis. Voici la description qu’il en donne : « Son feuillage est assez voisin de l’anémone japonica type; ses inflorescences, multiflores, sont peu élevées; ses fleurs de taille moyenne, comptent 5 sépales bien ronds, d’un mauve plus ou moins carminé à leur insertion et sur leurs bords; floraison hâtive; hauteur de 30 à 60 cm, occasionnellement 1m.». On peut ajouter que, dans des conditions de culture identiques, A.hupehensis est de taille un peu plus basse, un peu moins vigoureuse, et possède des fleurs plus petites qu’A.tomentosa.
        Mais la première du genre à être répertiorée sous le nom incorrect ‘Anemone japonica’, décrite à plusieurs reprises de la fin du 17ème siècle à la 1ère moitié du 18ème siècle, a été envoyée en échantillon vivant par Robert Fortune en 1844 à la Royal Horticultural Society où elle fleurit dès l’année suivante. Elle fut illustrée pour la première fois en décembre 1845 en Angleterre puis en février 1846 dans la flore des serres des jardins d’Europe de Louis Van Houtte, toujours sous le nom ‘Anémone Japonica’. Il faudra attendre les travaux de E.A. Bowles et W.T. Stearn en 1947 pour que cette plante acquiert enfin son nom correct : Anemone hupehensis var. japonica, soit une variété d’A.hupehensis évoquée précédemment, découverte bien plus tard. A noter que cette plante, cultivée depuis longtemps par les chinois et par les japonais pour l’ornementation des tombes, est une plante de jardin et qu’elle n’a jamais été trouvée dans la nature sauf où elle y a été introduite, comme au Japon. Elle est décrite comme : «atteignant 60cm dans la nature, 1m en culture, se développant rapidement par ses bourgeons racinaires. Son feuillage est pubescent, ses tiges rameuses, ses feuilles inégalement lobées à segments étroits et ses fleurs, portées par un long pédoncule, sont formées généralement de deux rangs de pétales inégaux, étroits, cucullés, d’un rose carminé plus ou moins foncé» (d’après Emile Lemoine, Le Jardin 1895).    
        Cette espèce nous conduit au quatrième groupe, le plus riche et le plus cultivé aujourd’hui, qui est celui des hybrides. Le premier hybride aurait été obtenu au jardin de Chiswick en Angleterre en 1849, croisement entre A. vitifolia et A. hupehensis var. japonica. Ce croisement s’est répété à plusieurs reprises en différents endroits mais il a été décrit pour la première fois en Angleterre en 1850. Son nom correct est donc A. x.hybrida et, d’après M. McKendrick et d’autres auteurs, cette plante et ‘l’Anémone japonica elegans’ bien décrite par Decaisne en 1852, figurant sous ce nom dans plusieurs catalogues de l’époque, ne font qu’une. Emile Lemoine considère pour sa part que ‘l’Anémone japonica elegans’ ( donc A x.hybrida), bien que d’une valeur ornementale supérieure à ‘l’Anemone japonica’ type (donc Anemone hupehensis var japonica), n’est pas une espèce distincte mais simplement une variété de ‘l’Anémone japonica’; il n’était pas loin de la vérité, mais il se trompait. Nous pouvons cependant nous fier à son sens aigü de l’observation botanique : «Feuillage plus ample,...hampes plus hautes et plus nombreuses,...fleurs plus grandes formées de 5 à 9 pétales larges et arrondis, ...d’une jolie teinte lilas rosé clair parfaitement unicolore./...»
        C’est à partir de cet hybride qu’est née toute la famille des nombreux cultivars créés à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, soit environ 70 dont la moitié a disparu de nos jours. Sur la moitié restante, une bonne partie peut être éliminée soit parce qu’il s’agit de plantes identiques vendues sous des noms différents, soit parce que les plantes ne correspondent pas aux descriptions originales des obtenteurs.
        Le plus familier et le plus ancien des hybrides connus est sans doute A.x hybrida blanche ‘Honorine Jobert’, obtenue accidentellement par mutation vers 1860 chez Mr Jobert, banquier à Verdun sur un pied d’A. x hybrida. Cette variété fut fixée et mise au commerce pour la première fois en 1863 par Victor Lemoine.
        Le monde horticole dut se contenter de ces trois espèces pendant 25 ans (A. hupehensis var japonica, A.x.hybrida et A. x hybrida’Honorine Jobert’) puisque qu’elles se révèlaient soit stériles, soit incapables de produire des graines matures.
        En 1888 apparut aux Etats Unis, vraisemblement aussi par mutation comme le suppose Emile Lemoine et non pas d’hybridation fortuite comme le disent les obtenteurs, A.x hybrida ‘Whirlwind’; elle est décrite comme ayant un port compact et trapu, portant des fleurs blanc crème semi doubles, toutes au même niveau, d’un port général moins gracieux qu’A. x hybrida ‘Honorine Jobert’.Cet hybride s’est révélé complètement stérile ce qui confirmerait son origine dimorphique.
        Presque en même temps (en 1886), en Irlande, un jardinier récolte, chose extraordinaire, trois graines sur un pied A.x.hybrida‘H.Jobert’.Il les sème et obtient trois plantes dont une présente des caractéristiques intéressantes: plus haute (1m50), feuillage coriace d’un beau vert brillant et surtout fleurs plus grandes, d’un blanc plus pur que celles de l’A. x hybrida ’H.Jobert’. Ce jardinier lui donne le nom de la Lady qui l’emploie,’Lady Ardilaun’ (distribuée par les Ets Lemoine en 1894).
        Cette plante, aujourd’hui à priori disparue, avait le grand mérite d’être féconde et a permis aux Lemoine père et fils d’opérer par fécondation artificielle une série de semis qui furent à l’origine d’une longue lignée qui commença en 1895 par l’A. x hybrida ‘semi duplex’ puis en 1895 par l’A. x hybrida  ‘Coupe d’Argent’ qui est décrite par les obtenteurs comme étant aussi solide que la variété ‘L. Ardilaun’ mais avec des fleurs mesurant jusqu’à 95mm de diamètre, sur 3 ou 4 rangs de pétales plus ou moins ondulés et cucullés, au nombre de 35 à 50, qui leur donne l’aspect de petites coupes. Notons que les fleurs de cette variété circulant actuellement en Angleterre sont simples.
        Les Ets Lemoine ont commercialisé, entre 1894 et 1913, 32 cultivars dont l’énumération serait fastidieuse et... ennuyeuse. Nous pouvons cependant noter que tous les cultivars étaient doubles ou semi doubles, plus ou moins hauts, dans toutes les nuances de couleur partant du blanc pur, passant par le rose frais jusqu’au pourpre violine foncé. Quelques hybrides de grande valeur, bien connus, circulent encore de nos jours dont ‘Beauté parfaite’ (semi double blanche), ‘Couronne Virginale’ (grandes fleurs, doubles et blanches) et anemone ‘Mont rose’ (grande fleurs doubles rose tendre aux pointes carminées).
        D’autres obtenteurs ont bien entendu produit des hybrides à peu près à la même époque. Pour n’en citer que quelques-uns :
        . Vilmorin et Andrieux, en 1907, offrirent dans leur catalogue le cultivar ‘Géante des Blanches’ (obtenteur inconnu) de haute taille et à très grandes fleurs blanc pur (rebaptisé ‘White Queen’).
        . Pfitzer, en Allemagne, mit au commerce, entre autres, les cultivars ‘Konigin Charlotte’ (Anemone Reine Charlotte en 1898, ‘Prinz Heinrich’ (Prince Henri) en 1902, ‘Richard Arhens’ en 1921.
        . Goos et Kenneman, allemands également, obtinrent parmi d’autres ‘Loreley’ en 1906 et ’Kriemhilde’ en 1908.
        . François Gerbeaux, horticulteur francais et nancéen, trop méconnu spécialiste en plantes vivaces, obtint, vraisemblablement dans les années 1890-1900, la désormais très rare variété ‘Crispa’ «à feuilles fortement crispées et fleurs rose tendre, présentant parfois un début de duplicature».(‘Les fleurs de pleine terre’, Vilmorin et Andrieu; 1909)
        Pour une information plus complète, nous ne pouvons omettre de citer les quelques variétés et cultivars les plus connus d’A. hupehensis :
        . var. praecox (Arends 1935)
        . var. anemone hupehensis splendens (Arends 1928)
        . cv. ‘Hadspen abundance’ (Eric Smith ? 1960).
        . cv. ‘September charm (Bristol Nurseries, U.S.A. 1932)
                var = variété = hybridation naturelle
                cv = cultivar = hybridation artificielle

        Ces énumérations ne sont pas exhaustives; d’autres variétés plus récentes et de valeur sont actuellement disponibles chez les spécialistes. Concernant les variétés plus anciennes, dont nous arrivons encore, avec un peu d’entêtement et beaucoup de patience, à dénicher quelques spécimens, le principal problème réside toujours dans l’identification, eu égard aux descriptions originales de leurs obtenteurs.
    

                        Monique Chevry


   Sources : 

        ‘Autumn flowering anemones’
            Margaret McKendrick - Revue The Plantsman Déc. 90.
        Anémone japonica ‘ Coupe d’Argent ’
            Emile Lemoine - Revue ‘Le Jardin’ -1895-
        Catalogues des Etablissements Lemoine
            1863 à 1913.
        ‘Les fleurs de pleine terre’
            Vilmorin et Andrieu; 1909

 


:






















   Â